Voyage avec nous, de Delhi au royaume du dalaï-lama, en passant par le lieu le plus sacré des sikhs.
Jour 13 à 18
Demain, c’est Holi, la fête des couleurs. Malheureusement, Delhi est complètement éteint. Il y a apparement eu une procession le matin. Mais bon, le rhume ressemble plus à un Covid et je passe mes journées allongées à boire du thé et à cracher mes bronches. En plus, la pollution n’aide pas. On ne peut même pas voir le soleil se lever tellement le nuage gris des échappements est épais. Il faut quand même se nourrir donc on sort mais la toux est persistante. L’effort de marcher n’aide pas, et la chaleur, proche des 40 degrés, assomme. On ajoute à ça les klaxons et les braillards, on peut vite avoir mal à la tête.
« Joyeux holi ! » on se tourne, un homme marche avec nous. Avons-nous retrouvé des gens sympas comme en Amérique centrale, où l’aide vient à toi sans même la demander? Non. En Inde, personne ne viendra vous parler dans la rue s’il n’a pas d’argent à gagner, enfin si mais c’est rare. C’est triste mais c’est comme ça, c’est très dur d’avoir une relation avec ce peuple tellement il est morcelé et fracturé socialement. « Joyeux holi! » disions-nous. « Vous venez d’arriver ? Où allez-vous ? Comment ça vous savez pas ? » Trop polis pour refuser une aide, il a voulu nous montrer où réserver nos billets de train.
C’est un ballet bien rôdé de rabatteurs qui te chopent au niveau de la gare, ça peut arriver trois fois par jour et ils ont toujours la même combine. Ils marchent vers toi, engage une conversation, puis t’emmène dans une agence de voyage non référencée sur Google en prétextant qu’il s’agit d’une agence gouvernementale , et, pour y être allé, qui pratique dans tarifs de trains exhorbitants.
Pourtant de l’extérieur, tout laisse à croire qu’il s’agit d’un lieu officiel, le nom de la compagnie de train IRTC écrit en lettres capitales, le site du gouvernement, la mention « pour touristes étrangers ». Car oui, en Inde les touristes étrangers ont un guichet spécial qui leur est réservé, mais il se situe TOUJOURS dans la gare, au niveau des guichets de réservation. Puis, après le dixième rabatteur, on trouve la parade, on ne dit même plus bonjour. « Soit tu fais demi-tour, soit c’est la police » C’est simple et efficace, ils souhaitent même une bonne journée après ça.
Ensuite, quand c’est pas des rabatteurs, c’est un prétendu étudiant qui t’aborde pour que tu ailles visiter la boutique de son grand-père je-ne-sais-où, et enfin les religieux qui te prédisent l’avenir jusqu’à te demander de l’argent. Bien sûr, toujours refuser. Et comme avec les tuktuks, ne pas hésiter à crier quand vous en avez marre.
Un repas de viandard à Punjab grill, une grosse assiette de kebabs. Pas grand chose à faire autour de la place Connaught, l’hyper-centre de New Delhi, c’est des centres commerciaux, des marques de luxe, des endroits où se retrouve la jeunesse indienne à la nuit tombée. On sent que la population a plus d’argent que dans le reste du pays. Il y a même des bars branchés qui ne sont pas réservés aux étrangers et la consommation d’alcool est plus banalisée qu’ailleurs.
On a dit plus riche mais les inégalités sont aussi en conséquence plus marquées. Sur cette avenue qui relie la rue des hôtels au centre-ville, là où opèrent les rabatteurs, en face de la gare, devant l’un des hôpitaux de Delhi, des dizaines de gens dorment dehors, dans une odeur d’urine. Mouillés par les flaques de canalisations qui se déversent dans le caniveau, ils allument des feux pour tenter de faire fuir les mouches qui leur tournent autour. On peut comprendre que si ça c’est la première image que les touristes ont de l’Inde quand ils atterrissent, ça puisse être marquant pour la suite.
Après, comme dit, nous on aime toujours cette ville. L’ambiance qui y règne est chaotique, mais hormis quelques petits cons, on nous embête moins qu’auparavant, et quand tu commences à avoir tes habitudes ça devient même facile. Les déplacements en métro, les cantines, une vie normale de citadin. Et c’est plutôt agréable. Nuance quand même, on reste en Inde et le fossé culturel reste immense. Et c’est toujours aussi difficile de manger autre chose que du curry. Bien qu’on ait trouvé une pizza pas si dégueu que ça !
On ira voir le temple sikh Bangla Sahib Sarowar, avec ses coupoles dorées, puis visiter la cathédrale en pleine semaine sainte.
On trouvera par la suite la force divine de marcher jusqu’à la fameuse Porte de l’Inde, l’arc de triomphe local, qui attire majoritairement un tourisme indien. Il y a foule, le soleil se couche, la chaleur est étouffante. Une petite bière médicinale pour conclure la journée.
Jour 18
Le lendemain, ça va mieux. Les glaires commencent à s’en aller. On peut vraiment commencer à faire du tourisme. Ça ne vaut pas le coup de rester trop longtemps dans cette ville. Surtout si on n’a pas beaucoup de temps ou qu’on ne s’y sent pas bien. Mais il y a quand même quelques attractions incontournables. On ne manque évidement pas le vieux Delhi. Il grouille tout autant que le nouveau, mais est plus authentique: on y retrouve des bazars partout.
Par exemple, si vous avez besoin d’une poignée de porte, d’un tuyau de douche ou d’un service à thé en étain, c’est là qu’il faut se rendre ! On essaie de grignoter un truc, ça ressemble à du pain, frit, avec du fromage. Ça dégouline d’huile, c’est pas bon, on a peur de tomber malade, on ne le mangera pas. Puis tout droit, dans des ruelles étroites, on se dirige vers la grande mosquée.
On est en plein ramadan, c’est l’heure de la prière, on ne peut pas encore visiter. L’occasion d’aller manger quelque chose avec une splendide vue sur la Jama Masjid et sur ses pèlerins. Elle est immense, mais tellement bondée que la prière a lieu jusque sur les marches à l’extérieur. Quand tout est fini, on peut enfin entrer. Le soleil brûle les dalles rouges et par la même occasion, nos pieds nus. La vue depuis le minaret est magnifique et nous offre un panorama exceptionnel sur Delhi, le fort, les temples alentours et nous donne une idée de la pollution qu’on y respire. Comment perdre dix ans d’espérance de vie.
On se dirige ensuite vers le fort rouge, un immense complexe, mais il faut le dire, bien plus impressionnant de l’extérieur que de l’intérieur.
Enfin, on finira la journée en se perdant dans Chandni Chowk, son bazaar et sa street-food. On y vend des jupes multicolores, des vêtements de mariage, des vêtements religieux. Les rues sont sombres mais les devantures des magasins les éclairent de couleurs clinquantes.
Jour 19
Repos. Acheter un billet de train relève toujours d’un parcours du combattant. On reprend la route le lendemain.
Jour 20
Métro à l’heure de pointe, c’est terrible avec les sacs. On doit aller à la gare de Old Delhi, mais pas celle à côté de notre hôtel qui est celle de New Delhi. Il y a au moins 3 gares dans cette ville, et on peut se faire avoir si on n’est pas attentifs. Cependant, la gare du vieux Delhi, on connaît, c’est là où notre bus nous avait déposé, non loin du quartier animé de Chandni Chowk. Elle est un peu violente cette gare d’ailleurs, un boum de pauvreté, de malformations, de saleté. Vraiment pas la plus accueillante de notre voyage.
Puis on attend, parce qu’on est trop en avance. Vraiment trop. Le voyage est long, cinq heures en classe populaire, pas de clim et un wagon surchargé, une forte odeur de pisse et de vomi. Des enfants qui crient. Des adultes qui crient. Armelle nous fait une dépression et un rejet de l’Inde, à tel point qu’elle s’endort avant que le train n’ait quitté la gare.
Réveil à Amritsar. Là encore, on attendait à devoir se battre. Mais pas du tout, ils ont même pas trop l’habitude de voir des touristes apparemment. Bon, une erreur de parcours dans le choix de l’hôtel, non par pour le standing mais pour sa localisation. En effet, il y a mieux et moins dépaysant qu’être sous une bretelle d’autoroute. Difficile de se déplacer à pied en tout cas. Des policiers nous ont même demandé si on était perdu en nous disant qu’il fallait faire attention en marchant ici quand la nuit tombe. On lui a dit qu’on savait mais que notre hôtel se situait de l’autre côté de l’autoroute et qu’on attendait le moment opportun pour la traverser sans mourir écrasé par un taxi fou, sachant qu’aucun n’avait voulu nous prendre parce la course n’était pas assez rentable à son goût. Ou qu’on n’était pas assez pigeon, c’est au choix.
Pour en revenir au fait, dormir dans un hôtel sous une bretelle d’autoroute c’est compliqué pour beaucoup de choses: aller manger et visiter, ce qui représente quand même 70% du temps lorsque tu voyages.
Mais on a quand même réussi à nous rendre à l’attraction principale d’Amritsar, le temple d’or. Il est le lieu le plus sacré des sikhs, une religion assez extrémiste, un savant mélange d’islam et d’hindouisme, qui se base sur deux principes simples: le premier est l’égalité entre tous les hommes de toute caste, le plus pauvre mange la même chose que le plus riche, ils ont une cantine à l’intérieur du temple qui permet à n’importe qui de se restaurer en échange de dons. Pareil pour le logement en dortoirs.
Le deuxième principe c’est le coupage de tête. Les personnes importantes de cette religion se baladent avec des sabres qui font la taille de leur jambe et tout paraît normal. Donc quand ils te demandent d’enlever tes tongues et de passer dans leur infâme pédiluve pour rincer tes petits petons avant de voir le temple… bah tu te tais et tu écoutes. A part ça, et la ruée de pèlerins, le temple est magnifique et fait facilement parti du top 3 des plus beaux édifices religieux qu’on a eu l’occasion de visiter dans le monde.
Il faut se frayer un chemin entre les religieux et les baigneurs tout-nus mais s’arrêter contempler ce temple au son de la prière est quand même un très beau moment. Petit conseil avisé, il faut s’asseoir en tailleur sinon un barbu enturbané arrive pour vous menacer avec un bâton, vous enjoignant de ne pas manquer de respect au temple. C’est pas ma faute si je suis pas assez souple pour m’asseoir en tailleur quand même.
On quitte les chevaliers modernes. On engloutit un thali, le menu rapide et efficace des indiens, généralement composé de deux currys différents, souvent un dhal, une sorte de ragoût de pois chiche, accompagnés d’une chorba, une soupe au cumin, de chapatis et de raïta, du yaourt aux échalotes, entre autre. Ca doit être le cinquantième curry qu’on mange depuis qu’on est en Inde. C’est dur.
Jour 21
Il est bien trop tôt pour prendre le bus. Le jour se lève à peine. Direction l’agence de la compagnie de bus qui nous emmènera en six heures à Dharamshala. Arrivée dans un coupe-gorge à taxis, presque forcés de monter dedans pour rejoindre McLeod. Le village étant perché à dix kilomètres, impossible d’y aller à pied avec nos sacs. On le partagera avec un allemand et un espagnol. Quelques klaxons et virages plus tard, on n’est plus en Inde. Enfin géographiquement, si. Mais c’est calme. C’est propre. C’est silencieux. Apaisant. La force de la montagne ? Du bouddhisme des moines tibétains qui se sont réfugiés ici ? Ou de la drogue que font circuler les anciens hippies qui inondent les hameaux alentours ? Mystère.
En attendant, on se sent bien ici, dans ce micro Tibet. Et puis ici, pas de curry. On a trouvé nos cantines. On se gavera de momos, ces raviolis tibétains servis dans un mokthuk, un bouillon de volaille ou de chèvre. Puis la joie de trouver une nourriture occidentalisée pour petit-déjeuner a aussi fortement contribué à notre épanouissement.
Jour 21
On visite le monastère, résidence actuelle du dalaï-lama. C’est pas très beau, mais l’enseignement aux jeunes moines tibétains est intéressant à observer. Ils crient et frappent dans leurs mains sous l’oeil expérimenté de leurs ainés. Ça apporte un peu de variété au voyage.
Non, mais quel plaisir de ne pas se faire harceler dans la rue et de marcher librement. De pouvoir jouer au touriste sans être forcé d’acheter la moindre babiole inutile.
En secret, je prépare une randonnée un peu ardue, il ne faut pas qu’Armelle voie le tracé sinon elle ne me suivra pas. Problème: le karma m’a rattrapé.